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Entretien avec Marcia Tambutti Allende, pour son film “Allende mon grand-père”

2 Aout 2016

Le film documentaire “Allende mon grand-père” était présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2015 où il reçut l”Œil d’or du meilleur documentaire. Il est sorti dans les salles en France depuis décembre 2015.
Marcia Tambutti Allende © DR

Cédric Lépine : Peut-on envisager ton documentaire comme une expérience psychanalytique d’affronter une histoire familiale à travers ses non-dits ? 
Marcia Tambutti Allende : Au début, je ne pensais pas faire un documentaire de cette histoire. Mon idée était de faire un film avec une certaine ingénuité car je pensais que ce serait plus simple ainsi. L’idée du film s’est transformée progressivement au contact de ma famille. Ce fut assez étrange car d’un côté je ne pensais pas apparaître devant la caméra mais d’un autre côté je savais que si je racontais un processus familial auquel j’appartenais, le plus honnête était d’être aussi devant la caméra. Je voulais faire un film très honnête avec le maximum de transparence. Pour que ma famille soit la plus détendue dans ces échanges enregistrés, il fallait aussi que je sois dans le champ pour rendre compte du dialogue entrepris. Comme ma mère est très pudique, j’ai dû lui montrer divers enregistrements provenant d’archives publiques et familiales pour qu’elle se rende compte de l’intérêt qu’il y avait à partager son témoignage. Ce fut une sorte de thérapie avec ma mère, mais j’ai usé de ce procédé seulement avec elle.

C. L. : Cette « thérapie » consistant à affronter l’histoire passée concerne non seulement toi et ta famille, mais aussi toutes les personnes à travers le monde pour qui ton grand-père, Salvador Allende, est devenu une figure familiale symbolique aussi pour eux. 
M. T. A. : Ceci a beaucoup à voir avec le fait que je veuille rendre public mon témoignage à travers ce documentaire. J’ai grandi durant la dictature avec une image de mon grand-père qui était très forte pour les exilés chiliens. D’une certaine manière, la sensation, pour eux qui étaient disséminés à travers le monde, d’appartenir à quelque chose s’est unie autour de l’image de mon grand-père. Ensuite, une amie en Grèce m’a dit qu’elle écrivait Allende sur les murs comme un synonyme de liberté. Au Mexique, j’avais 4 ans lorsque mon grand-père est mort et je me souviens avoir vu pour la première et unique fois mes parents pleurer devant les informations télévisées. Ce fut une personne qui a marqué diverses générations et en ce sens j’ai compris qu’il n’appartenait pas qu’à moi et que je devais donc le partager avec « la nation allendiste ».

C. L. : En même temps, les moments que tu filmes font intégralement partie de ta propre vie. Ainsi, les problèmes que tu règles à l’écran ne sont pas là seulement que pour faire avancer l’intrigue.
M. T. A. : Ceci vient de mon envie d’être tout à fait honnête en faisant ce film. Je suis très heureuse d’avoir réaliser ce film, même si certains moments étaient très difficiles pour moi qui devais à plusieurs reprises poser des questions dérangeantes. Mais cela m’a permis de me rapprocher davantage de ma famille, de vivre les derniers moments de ma grand-mère auprès d’elle alors que je ne l’avais jusque-là vue uniquement durant la période des vacances. Cette intimité qui va crescendo m’a permis de comprendre leur propre point de vue.

C. L. : Comment as-tu filmé ta famille avec une telle intimité et confiance de leur part alors que tes dialogues étaient suivis par toute une équipe technique ? N’étais-tu pas à la fois entre deux familles : celle du sang et celle du cinéma ?
M. T. A. : Nous avons filmé avec une petite équipe, car il s’agit d’un documentaire indépendant et en même temps pour maintenir cette intimité. Ma famille se rendait compte que ce n’était pas n’importe quelle personne qui m’accompagnait. Tous les membres de l’équipe sont en outre très qualifiés dans leurs domaines respectifs. J’avais une productrice extraordinaire qui m’a donné des milliers de conseils. L’équipe technique est en effet devenue d’une certaine manière une autre famille pour moi.

C. L. : Tu expliques au début du film que tu ne sais pas pourquoi tu le tournes : n’est-ce pas de découvrir ta propre identité ?
M. T. A. : J’ai toujours tenté de maintenir la forme du dialogue pour conserver la tonalité du film. Réaliser ce film m’a permis de forcer ces limites que j’avais très envie de déplacer dans ma famille. Je n’aurais pas eu d’excuse de le faire sans le projet de ce film. Sans ce film, je me serais sentie censurée et je n’aurais pas osé insister. Le film m’a permis d’être plus insistante. En ce sens, cela a été un bon outil. Cette personne très curieuse que j’avais en moi, je me suis rendue compte en écrivant le scénario que je l’avais été à divers moments de ma vie. Ainsi, j’ai déjà posé des questions à ma famille mais elle ne m’a pas répondu, laissant le temps passer. Le film m’a permis de canaliser mes attitudes pour revenir vers ma famille plus forte.

C. L. : Tu ne parles pas directement de la politique d’Allende, mais on peut voir un message politique implicite dans le fait de vouloir affronter l’histoire familiale pour se réunir, comme pour récréer une nouvelle cohésion sociale.
M. T. A. : J’ai tenté de mettre quelques anecdotes de la campagne politique de mon grand-père. Il avait cette qualité, et c’est peut-être pour cette raison qu’il a été un leader politique aussi important, de pouvoir être le leader de toute la gauche réunie. Il ne voulait pas trahir ceux qui se sont confiés à lui. Cela a à voir avec son aptitude à parler aussi bien avec le peuple dans son ensemble qu’avec chaque individu. Il n’a jamais oublié l’individu derrière la masse sociale. Au début, je n’y croyais pas mais il connaissait les prénoms des différentes personnes qu’il rencontrait. Ainsi ce film peut inspirer ou marquer un chemin vers une bonne politique.
"Allende mon grand-père" de Marcia Tambutti Allende © Bodega Films