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En Inde, les victimes de violences sexuelles prennent la parole et gardent l’anonymat grâce aux filtres de Snapchat

24 Août 2016


Un journaliste indien s’est mis à utiliser Snapchat d’une façon innovante pour permettre aux victimes de violences sexuelles de raconter leurs récits sans révéler leur identité.

Comme dans beaucoup d’autres pays, la violence envers les femmes est un sérieux problème en Inde. Les autorités ont été amenées à passer des lois très strictes contre les auteurs de tels actes. Malgré cela, peu de victimes portent plainte ou dénoncent les attaques à la police à cause des questions indélicates de cette dernière, ainsi que du stigmate attaché au statut de victime de violence sexuelle dans la société patriarcale indienne.

Pour tenter de changer cette situation, le journaliste et “conteur Snapchat” autoproclamé Yusuf Omar fournit à ses sujets une large gamme de filtres : ceux-ci déguisent les visages des victimes de façon qu’elles parlent de leur épreuve face à la caméra tout en gardant l’anonymat. C’est une méthode créative et puissante qui permet aux survivantes de modifier le scénario et de faire entendre leurs voix.

L’utilisation de Snapchat d’Omar a attiré l’attention des médias nationaux et internationaux. Dans une interview avec Global Voices, Omar, qui est également le rédacteur en chef de la version mobile du journal Hindustan Times, explique :

Les filtres sont la seule raison pour laquelle elles racontent leur histoire. En Inde, il est illégal de publier l’identité de survivantes de viols dans les médias, mais il y a aussi la question du stigmate. C’est une société dans laquelle elles risquent l’aliénation de leurs amis et de leur famille et le bannissement de leurs communautés pour avoir rendu leurs histoires publiques.

Comment le public a-t-il réagi ?

Ma plus grande peur était que les gens pensent que Snapchat rendait trivial un sujet sérieux. C’est le contraire qui s’est produit. Cette histoire a fait parler les gens de la culture du viol, des abus sexuels en Inde et des problèmes des femmes de façon plus générale. Mais cette conversation a commencé avec un usage innovant des technologies. L’organisation mondiale Climb Against Sexual Abuse a emprunté l’idée et appellent les survivant(e)s du monde entier sur Snapchat pour raconter leurs épreuves. J’en suis vraiment heureux.

Pendant ce temps, Omar a utilisé des méthodes de journalisme traditionelles pour mettre les victimes à l’aise avec les outils eux-mêmes avant de procéder aux enregistrements.

Snapchat, à l’origine une application de messagerie, compte plus de 150 millions d’utilisateurs quotidiens et gagne en popularité en Inde. Sur Youtube, une vidéo de Yellowbulbs.com partage les résultats d’une étude réalisée en 2016 auprès de cent étudiants de New Delhi, décrivant l’utilisation de Snapchat parmi les millenials indiens




Omar exploite cette popularité pour s’attaquer à un énorme problème : rien qu’en 2014, 36 735 viols ont été rapportés en Inde, et beaucoup d’autres n’ont pas été enregistrés. Selon les bulletins d’information, l’incidence des viols a augmenté de neuf pour cents depuis 2010.

D’après Omar, voici ce qui a rendu l’expérience entière extrêmement personnelle pour les survivantes 

Ça n’a pas été difficile, car même si elles ne connaissaient pas vraiment Snapchat, n’importe quel millénial partout dans le monde sait comment prendre un selfie. Ce n’était rien de plus que ça. J’ai d’abord essayé les filtres sur moi-même. Elles ont ri. Ensuite, elles en ont essayé quelques uns. On a rigolé un peu. À la fin, elles ont appuyé sur le bouton rouge, partagé leurs histoires, et le monde a pleuré.

Les efforts d’Omar lui ont valu des compliments sur les médias sociaux pour avoir donné une signification plus profonde à ce qui n’était avant qu’une app amusante

D’autres ont également utilisé Snapchat pour leur travail. Les Indiens Avani Parekh, Nida Sheriff et Rajshekar Patil ont créé un service de conseils sur les abus domestiques appelé lovedoctordotin, adressé aux adolescents indiens qui pensent se trouver dans une relation abusive.

Omar offre ses conseils aux journalistes utilisant les outils numériques pour rapporter des histoires très sensibles :

Regardez au-delà des gadgets. La valeur nominale de Snapchat n’est qu’autoportraits rigolos et émojis, mais derrière les filtres se cachent des algorithmes phénoménaux. Utilisez la technologie pour raconter de meilleures histoires. Voyez le potentiel qu’il y a à pirater, en quelque sorte, quoi que ce soit. En ce moment, je suis en train de regarder Pokemon Go et je me dis, comment peut-on rapporter des informations comme ça ? Peut-être, en dirigeant les gens dont les téléphones sont munis d’appareils photo vers des évènements, comme les joueurs qui affluent vers des créatures d’animation.
Ceci étant, les implications légales de ces innovations narratives restent à régler, comme par exemple la validité des histoires devant un tribunal. Il y a environ deux mois, les partis politiques indiens de droite, armés de plaintes déposées à la police, ont menacé le comédien Tanmay Bhat pour avoir publié une vidéo utilisant des filtres Snapchat et qui caricaturait deux importantes célébrités indiennes.