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Burkini : “Les musulmans sont fatigués de répondre à ces polémiques”, déplore Latifa Ibn Ziaten

par Marie-Adélaïde Scigacz, France Télévisions, 27.08.2016. Mère d’une
victime de Mohamed Merah, musulmane pratiquante, militante, chevalière de la
Légion d’honneur, Latifa Ibn Ziaten déplore que la polémique autour du burkini
détourne l’attention des problèmes plus profonds qui rongent la société
française. 
Latifa Ibn Ziaten, à Paris, le 19 novembre 2015.
(JACQUES BRINON / AFP)
Latifa Ibn Ziaten est en mission. Cette mère de famille franco-marocaine de
56 ans arpente la France entière depuis près de quatre ans. Son but est
de nouer le dialogue entre communautés grâce à l’association qui porte le
nom de son fils, Imad Ibn Ziaten, pour la jeunesse et pour la paix.
Sous-officier du 1er régiment du train parachutiste de Francazal, près de
Toulouse, Imad a été assassiné par Mohamed Merah le 11 mars 2012.
Musulmane pratiquante, Latifa Ibn Ziaten plaide pour la tolérance,
défend la laïcité et revendique la liberté de porter le foulard. Alors que le
débat sur le port du burkini continue
d’agiter la France après les mesures prises par plusieurs maires de
stations balnéaires, de la Corse au Pas-de-Calais, elle livre son sentiment à
france info. 
Franceinfo : Comment vivez-vous cette polémique sur le burkini ?
Latifa Ibn Ziaten : Je suis étonnée de voir quelque chose d’aussi anodin prendre tellement
d’importance. Mais je m’interroge : où est la liberté ? Il y a donc des
personnes en France qui ne jouissent pas de la même liberté que les autres,
puisqu’il s’agit d’interdire un espace à des citoyennes ? Les femmes en burkini
qui veulent profiter de la plage ne sont pas responsables de tout ce qui
se passe aujourd’hui, mais ce sont elles qui sont encore stigmatisées.
Moi-même, je nage comme cela, alors cela m’a touchée. Je suis choquée de
voir des policiers arrêter une femme à la plage pour lui demander de se
déshabiller. Cela revient à priver les femmes d’un choix, alors que le simple
fait qu’elles soient à la plage fait d’elles des femmes libres et
courageuses. C’est juste un loisir ! Il faut leur laisser leur chance au lieu
de les humilier. 



Pensez-vous que les maires se trompent de cible en prenant des arrêtés
municipaux contre le burkini, mettant en avant un risque de troubles à l’ordre
public ? 
Oui, je pense que c’est une erreur. Il faut se demander qui sont ces
femmes qui portent le burkini à la plage : ce ne sont  pas celles qui
portent la burqa ! Ce sont des femmes qui, comme moi, ne veulent pas se dévêtir
pour différentes raisons, que ce soit pour une question d’âge, de respect, de
religion… Une femme qui adhère à l’idéologie de Daech, ce n’est pas à la
plage que vous risquez de la trouver. Il est hors de question pour ces
personnes de se baigner ou bien d’aller à la plage. Avec ou sans burkini. Nous
ne sommes pas Daech. Je me bats contre cela. Je porte le foulard et je me bats
pour la liberté, pour le vivre-ensemble, pour mon pays et les valeurs de la
République. Et la République protège tout le monde, sans distinction. Cette
polémique ne sert finalement qu’à diviser les Français.
L’islam est devenu un thème politique récurrent. Craignez-vous que les
élections à venir ne réveillent des polémiques qui vont au-delà du burkini,
comme la question du voile, toujours délicate en France ? 
Ce n’est pas normal de réveiller ces débats juste parce qu’il y a des
élections. Quoi qu’il arrive, l’islam fait toujours la une des médias et je me
demande sincèrement pourquoi il y a tant de polémiques. La religion est une
affaire personnelle. En France, les musulmans doivent constamment se justifier,
expliquer chacun de leur choix. Expliquer pourquoi ils choisissent, ou non, de
porter tel ou tel vêtement. Mais les gens n’aspirent qu’à vivre
tranquillement ! Quand il y a des attentats, on demande encore aux musulmans de
se justifier ou on leur reproche de ne pas prendre la parole. Il y a toujours
quelque chose : si ce n’est pas le foulard, c’est le burkini, la burqa, la
barbe… Les musulmans sont fatigués de répondre à tout cela. Répondre à quoi ?
A des bêtises ? Aujourd’hui, en France, on joue avec l’islam. Notre
religion est devenue prisonnière de ces polémiques et les musulmans ne se
sentent pas libres.
Les détracteurs du burkini estiment qu’en raison du contexte actuel –
attentats, menace terroriste -, porter un vêtement qui témoigne d’une appartenance
religieuse relève de la provocation.
 Comprenez-vous
cet argument ? 
Il y a de la peur en France et les gens sont méfiants après le traumatisme
des attentats. Mais le foulard ou le burkini ne présentent pas de danger pour
la société, que ce soit en Europe, au Maghreb ou ailleurs. Le danger n’est pas
dans le voile. Le danger, c’est la pauvreté morale, le manque d’éducation, le
manque de respect… Hélas, il y a une minorité de gens qui ne connaissent pas
l’islam et qui ont peur de ce qu’ils voient dans les médias. Moi qui porte le
foulard, je le vois bien quand je prends le train ou quand j’arrive dans
un hôtel. Les gens me regardent, se méfient. Je veux leur dire que quelqu’un
qui porte le foulard, comme quelqu’un qui porte la kippa, n’est pas dangereux,
mais juste une personne avec des convictions religieuses et qui doit être
respectée. Au même titre que n’importe qui.
Je comprends l’interdiction de la burqa, qui cache le visage, et je
comprends que le foulard puisse être interdit dans certains lieux, comme
les écoles ou les administrations. Mais à l’extérieur, dans la rue, sur la
plage et jusque dans la mer – comme s’il fallait se demander si la mer était un
espace laïque ! -, c’est n’importe quoi. Rester bloqué sur la question du
foulard ou du burkini empêche de s’attaquer aux vrais problèmes de la société.
C’est ça qui est terrible. Il ne faut pas tomber dans ce piège. 
Depuis quatre ans, vous arpentez la France à la rencontre des jeunes pour
promouvoir le dialogue interreligieux et la tolérance. Ce type de séquence
médiatique peut-il nuire à votre action ?  
Cela peut créer beaucoup de mal et c’est dommage. Quand je parle avec
des jeunes, certains me disent : “Madame, la
République elle m’a oublié.”
  Que voulez-vous répondre à
un garçon de 14 ans qui dit : “Je n’ai aucun rêve.
Je n’ai aucune chance de réussir.”
 Tous les jours, je suis
face à des jeunes sans espoir, qui se sentent condamnés d’avance. C’est une
situation qui ne peut rien donner de positif.
Le soir, je rentre à l’hôtel les larmes aux yeux. Il y a un malaise si
profond que je suis choquée de voir qu’on perd notre temps sur des questions
futiles comme le burkini. Ce n’est pas possible, nous avons trop de choses
à accomplir, il y a trop de problèmes graves ! Je vois tous les jours une telle
détresse dans ce pays et on vient embêter quelques femmes à la plage ? Mais
enfin, où va-t-on ?
Quels risques ce désespoir engendre-t-il, selon vous ? 
Le risque, c’est de créer de la violence et de la haine. On remplit ces
jeunes de haine au lieu de leur donner de l’espoir. On persiste dans ces
erreurs alors que si nous avions guéri cette plaie profonde, nous n’en serions
pas là aujourd’hui. Nous le payons très cher. J’ai moi-même payé le prix le
plus cher qui soit. Ma crainte serait que la situation s’aggrave. Il ne faut
pas jouer ainsi avec les sentiments des gens. Il ne faut pas humilier la
dignité humaine. Nous sommes en France, nous sommes français, nous devons nous
respecter les uns les autres, vivre ensemble avec des valeurs républicaines
mais aussi dans le respect des valeurs de chaque individu. Un jeune m’a dit une
fois : “J’ai honte de dire que je suis musulman, à cause de
tout ce qui se passe.” 
Ce n’est pas normal d’en arriver
là.
Quelle est la priorité alors ? 
Il faut avant tout établir de la confiance. Donner de l’importance à
l’autre. Etre à l’écoute, c’est primordial. Les jeunes que je rencontre dans
les quartiers, personne ne les écoute. Leurs parents ne sont pas écoutés non
plus. Il y a un énorme travail à faire pour rétablir le dialogue avec ceux qui
sont le plus dans le besoin. Il faut aimer et respecter cette jeunesse qui
se sent rejetée car, à force d’interdictions, on continue à mettre davantage de
personnes de côté. Depuis 20-25 ans, toute une partie de la population est mise
à l’écart. Pour y remédier, il faut donner la priorité à l’éducation, suivre
les jeunes de la maternelle au lycée, afin d’être certains qu’ils soient
blindés pour réussir dans la vie.
Que nous apprend cette nouvelle polémique ? Met-elle en lumière un malaise
particulièrement français ?
Je ne sais pas
si elle traduit un grand malaise ou si la France se sent perdue. Ce que je
vois, c’est qu’il y a urgence et que nous sommes en train d’être montés les uns
contre les autres. Alors qu’il faudrait au contraire vivre ensemble, en
respectant les libertés de chacun. Ce qui fait peur avec ces polémiques, c’est
qu’elles divisent les Français.