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Droit au Corps, une association pour l’abandon des mutilations sexuelles non consenties : Un entretien avec Droits au Corps


 
Droit au Corps est une association de droit français à but non
lucratif. Son
objet est de promouvoir l’abandon de toute forme de mutilation
sexuelle – féminine, masculine, transgenre et intersexe : excision,
circoncision ou autre – pratiquée sur un individu non consentant et sans
nécessité thérapeutique. Elle est présente dans le monde francophone (notamment
en Europe, en Afrique et au Canada) et entretient des relations avec des
mouvements similaires au niveau international. Nous avons voulu en savoir plus
un interrogeant ses animateurs.
MR
: Quels sont les objectifs principaux de votre association Droit au Corps ?
DaC : La finalité de Droit au Corps (DaC) est la priorité éthique donnée
à l’allègement de la souffrance
, en l’occurrence la souffrance qui peut
découler de mutilations sexuelles non consenties. DaC vient d’ailleurs
de demander à rejoindre
l’Alliance
Algosphère
.
Avec
pour principe fondateur le “droit de disposer de son corps”, DaC a un objectif
précis : “promouvoir l’abandon des mutilations sexuelles non consenties”.
DaC
n’est pas dans une stratégie d’affrontement et du rapport de forces, mais
exclusivement dans
la voie de la compassion : “Droit au Corps vise non seulement la fin des
souffrances découlant des mutilations sexuelles, mais se préoccupe également de
celles que pourraient éprouver les individus se sentant menacés dans leurs
traditions ou contraints de les perpétuer. Droit au Corps souhaite que toutes
les parties concernées par les mutilations sexuelles progressent, ensemble,
vers cette fin.”
Vous
avez une vision très étendue de la mutilation génitale. Pour quelles raisons
étendez-vous ce terme à la circoncision des garçons musulmans et juifs ?
DaC
parle de mutilation “sexuelle” et non “génitale”, ce dernier terme étant
étymologiquement restreint à la “reproduction” : par exemple le clitoris est un
organe sexuel mais pas génital puisqu’il n’est pas nécessaire à
la reproduction. De même, que dire du
repassage des seins ?
Quant
au terme “mutilation”, il a une définition officielle à laquelle DaC se tient,
par exemple dans le dictionnaire de
l’Académie
française
: “Retranchement, perte d’un membre ou
de quelque autre partie du corps”.
Wikipedia donne des précisions intéressantes : “perte
partielle/totale d’un membre, d’un organe ou la destruction/dégradation
partielle d’une ou plusieurs parties du corps sans cause intentionnelle de
donner la mort”. Voir aussi la
définition utilisée par les institutions internationales.
Ainsi,
une “mutilation sexuelle” peut être légitimement souhaitée par celui qui la
demande et vécue positivement, par exemple au cas d’une stérilisation
volontaire à visée contraceptive, légalisée en France depuis 2001 : c’est la
raison pour laquelle DaC ne condamne pas la “mutilation”, mais l’absence de
“consentement” libre et éclairé.
Depuis
quelques décennies, d’intenses conflits idéologiques se sont emparés du terrain
sémantique. Par exemple, le glissement terminologique opéré par l’OMS en 1995
pour cloisonner les pratiques féminines et masculines : de “circoncision
féminine” vers “mutilations génitales féminines” [Aldeeb, 2001]. Il faudra bien
revenir à davantage d’objectivité dans les termes employés, et le terme de
“mutilation” n’est probablement pas le meilleur pour englober toutes les
pratiques visées par DaC. Faut-il parler “d’altération” comme le font
actuellement
2
gynécologues
américains ou des spécialistes en
éthique comme
Brian
Earp
, opposé à toute “altération” sexuelle non
consentie, quel que soit le genre de l’individu ?
Compte
tenu aussi de la connotation négative associée au terme “mutilation” dans les
représentations du grand public, ainsi que du jugement de valeur inclus dans
certaines définitions, DaC est susceptible d’évoluer dans sa politique
terminologique à l’avenir.
Comme
femme musulmane féministe, je combats les mutilations génitales féminines de
tous types, mais je considère la circoncision des garçons dans le judaïsme et
dans l’islam comme faisant partie d’une tradition religieuse sémite qu’il faut
respecter. Comment justifiez-vous votre position ?
DaC
n’est nullement opposée à la circoncision juive ou musulmane, mais vise
uniquement l’ablation non consentie du prépuce, le consentement devant
être éclairé sans en omettre les
conséquences sur la sexualité (voir par exemple ce documentaire sur les fonctions du prépuce dans le plaisir sexuel), la
psyché et les risques de complications.
Si
la circoncision féminine faisait partie de la tradition musulmane, comme
certains responsables religieux musulmans le prétendent, affirmeriez vous
“qu’il faut respecter” une telle pratique ? De même que certains prétendent que
l’excision fait partie de l’Islam, êtes-vous si sûre que la circoncision
masculine en fasse bien partie aussi ? Ces questions font l’objet de
controverses au sein même du monde musulman, voir cette présentation d’expert :
Circoncision
masculine Circoncision féminine – Débat religieux, médical, social et juridique
, Sami A. Aldeeb Abu-Sahlieh, 2001. Et que faites-vous de
ces femmes excisées qui
revendiquent le “respect” de leurs traditions religieuses ancestrales ?
Pourquoi y a-t-il une telle différence de traitement juridique entre
“mutilations sexuelles féminines” et “chirurgie esthétique du sexe féminin”, 2
terminologies différentes pour 1 contenu qui peut être identique ?
En
tant que féministe, vous vous êtes peut-être intéressée à l’origine
anthropologique de la mutilation sexuelle intersexe, masculine et féminine,
ainsi qu’à l’origine de l’oppression des femmes depuis quelques millénaires :
n’est-elle pas la même, c’est-à-dire l’obsession reproductive ? Voir
Naître est-il dans
l’intérêt de l’enfant ?
, Jean-Christophe
Lurenbaum, 2011.
D’ailleurs,
vous parlez de circoncision comme d’une “tradition religieuse sémite” : en tant
que philologue, pensez-vous qu’il y ait un lien étymologique entre les fils
de Sem
et le terme de semence ?
Comment
essayez-vous d’établir un dialogue productif avec les juifs sur ce sujet ?
Lors
du
colloque intitulé « La circoncision, un geste d’avenir ! » organisé
début 2015 par l’Association des Médecins Israélites de France et le Fonds
Social Juif Unifié, les organisateurs et intervenants de ce colloque,
principaux représentants de la défense de cette pratique religieuse au niveau
français et européen, y reconnaissent eux-mêmes que cet acte chirurgical, y
compris lorsqu’il est commis dans des conditions cliniques optimales :
·     – 
entraîne une inévitable douleur pour le nouveau-né ;

– met en péril la santé du nouveau-né ;
– n’a strictement aucun bénéfice médical pour un nouveau-né.
De
plus certains intervenants y ont rappelé que la circoncision du nouveau-né
n’est nullement nécessaire à son accueil dans la communauté religieuse : il
n’est pas nécessaire d’être circoncis à 8 jours pour devenir juif. Enfin, ce
colloque a aussi évoqué un possible rituel symbolique qui présente l’avantage
de respecter les intérêts des parents comme ceux des enfants, rappelant que le
christianisme dans son 1er siècle a connu cette évolution.
En
pratique, il existe plusieurs organisations, en Israël même et y compris
juives, qui
s’opposent à la circoncision des nourrissons. Des rituels alternatifs
à la circoncision des bébés comme
Brit Shalom, “alliance de la paix”, sont pratiqués par de nombreux
rabbins, notamment aux États-Unis. DaC est d’ailleurs en train de soutenir le
déploiement de “Brit Shalom, l’alliance sans souffrance” dans la francophonie.
De nos jours, combien de bébés nés dans la tradition juive ne sont pas pour
autant circoncis ?
Bref,
toutes les conditions sont réunies pour
ouvrir un
débat public
sur “les conditions du consentement
à la circoncision” qui permette de dégager un consensus entre toutes les
parties, point d’équilibre susceptible d’alléger un maximum de souffrances.
Quelles
sont les thématiques que vous affrontez quand vous parlez de la circoncision
masculine avec les musulmans ?
Nous
ne connaissons aucun affrontement avec les musulmans, ni avec personne, DaC
n’étant nullement opposée à la circoncision, mais uniquement à l’ablation “non
consentie” du prépuce. La circoncision musulmane, à la différence de la
tradition juive, devrait théoriquement avoir lieu autour de l’adolescence (âge
biblique d’Ismaël au moment de sa circoncision) : qu’est-ce ce qui empêche de
définir les conditions d’un consentement éclairé à disposer de son propre corps
alors qu’en France, par exemple, la majorité sexuelle est fixée à 15 ans et le
droit à l’avortement en deçà ? Et qu’un enfant peut y demander et obtenir
certaine chirurgie esthétique non nécessaire médicalement, en deçà de 10 ans,
par exemple pour décollement des oreilles.
L’Islam
ne fait-il pas partie de ces religions qui cherchent, comme DaC, à alléger les
souffrances de ce monde ?
Une
question critique : on pourrait penser que vous négligez la lutte contre toutes
les formes de mutilation génitale féminine, beaucoup plus invasives. Quelle est
votre réponse à cela ?
La
mission de DaC englobe toute forme de mutilation sexuelle : féminine,
masculine, intersexe (et non-humaine demain ? Combien de porcelets émasculés à
main nue dans l’industrie agro-alimentaire…). Si DaC traite prioritairement
de la circoncision, c’est que le sujet est méconnu et peu présent dans le débat
public.
Comme
il existe de nombreuses organisations au niveau international qui se consacrent
aux mutilations sexuelles féminines et que les institutions mondiales telles
l’ONU se focalisent presque exclusivement sur ce genre de mutilation (la journée
mondiale du
6 février passe sous silence la mutilation intersexe et masculine),
DaC se positionne en synergie et non en concurrence : DaC n’intervient que
lorsque ces organisations ne le font pas déjà. Par exemple, DaC soutient
actuellement un projet de reconversion économique d’exciseuses en Afrique.
Afin
de développer de telles synergies entre toutes ces organisations, dans un souci
d’universalité qui ne “néglige” aucun genre de mutilation, DaC
promeut la création d’une alliance mondiale pour l’abandon des
mutilations sexuelles : “la communauté mondiale ne se doit-elle pas de protéger
tous les enfants de manière égale, quel que soit leur genre ?”En
ferez-vous partie ? Nous restons à votre disposition, y compris de vive voix,
pour tout approfondissement.