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Salah Lamrani, blogueur et traducteur : “Relayer des voix occultées et diaboliséesˮ

Salah Lamrani est un enseignant, blogueur et traducteur français qui anime
depuis février 2013 le blog Sayed
Hasan
, sur lequel il publie principalement des traductions de discours
d’Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, d’Ali Khamenei, le
Guide suprême iranien, de Vladimir Poutine, le président russe, mais aussi de
Norman Finkelstein ou Noam Chomsky. Il a bien voulu répondre à nos questions
 

Milena Rampolidi : Que signifie pour vous faire du journalisme ?
Salah Lamrani : Tout d’abord, je ne me considère
pas comme un journaliste mais comme un simple blogueur. Mais de fait, si les
pseudo-« journalistes » faisaient leur travail correctement, mon
travail ne serait pas nécessaire. C’est parce que les journalistes, ou
« presstituées », ne sont qu’un relais servile de la propagande
d’État, elle-même au service des intérêts économiques et entièrement soumise à
Washington, qu’il est nécessaire d’informer, ou de réinformer le public sur la
réalité des événements que les médias présentent toujours de manière partiale
et mensongère.
Le souci du journaliste, comme celui de l’historien,
doit être de « dire le vrai », de rapporter les choses telles
qu’elles sont, avec la plus grande exactitude, ce qui nécessite une
connaissance des enjeux, un contact direct avec les faits, un savoir de
première main, et, bien sûr, du courage. Comme disait Jean Jaurès, « Le
courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas
subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de
notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et
aux huées fanatiques.
 » Telle serait ma définition du journalisme.

MR : ProMosaik e.V. est convaincu que l’objectivité
totale n’existe pas, et que c’est une bonne chose de reconnaitre que chaque
journaliste a sa partie subjective. Qu’en pensez-vous ?
SL : C’est tout à fait vrai. Il n’est pas possible
d’être impassible face aux faits, et nous avons toujours un engagement, un
parti pris face aux événements que nous évoquons. Nous choisissons de rapporter
telle ou telle chose, plutôt que telle autre – par exemple, en ce qui me
concerne, de relayer essentiellement des voix occultées et diabolisées comme
celles de Sayed Ali Khamenei, Sayed Hassan Nasrallah ou Vladimir Poutine,
auxquelles j’adhère. Mais si cela est assumé et affirmé, et n’empêche pas une
loyauté à l’égard des faits (il faut tout rapporter, même ce qui nous gêne, et
il m’arrive de traduire Obama ou Netanyahou car j’ai confiance dans le
discernement de mes lecteurs), cela ne nuit aucunement au caractère
scientifique de notre travail de « journalisme », au contraire. C’est
bien mieux que la fausse objectivité pétrie d’idéologie des médias mainstream,
qui donnent 90% de temps de parole aux puissants et aux oppresseurs, 10% aux
opprimés, et nous laissent prétendument nous faire notre avis sans même mettre
les déclarations des uns et des autres à l’épreuve des faits. Il faut que notre
« objectivité » penche toujours du côté des faibles, des opprimés,
des sans-voix. Cela a été problématisé par des historiens comme Howard Zinn ou
Henri Guillemin, et par des journalistes comme Robert Fisk.
MR :  Comment écrire en tant que
Musulman dans un Occident islamophobe ?
SL : En tant que musulman et en tant qu’occidental, je
dispose, de l’intérieur, des référents de chaque culture, et donc je peux
parler de l’Islam, avec le même langage conceptuel que celui du public
occidental (et vice versa). Puisque l’Islam est décrié, honni, avili, il est du
devoir de tout musulman de répondre aux attaques, calomnies et diffamations par
la vérité. D’autant plus que la diabolisation de l’Islam se fait pour détourner
le peuple des véritables questions, politiques et économiques. C’est l’ignoble
méthode du bouc émissaire, qui a été utilisée de tous temps et en tous lieux.
Certains en font une instrumentalisation consciente, d’autres sont les victimes
des manipulations et des préjugés. Il y a donc une concordance entre la défense
des musulmans et la défense des citoyens français et des intérêts de la France,
car tant qu’on pourra brandir de faux problèmes et exciter les foules contre de
faux ennemis, à l’intérieur ou à l’extérieur, les vrais problèmes resteront
ignorés, occultés et se perpétueront, et les ennemis objectifs continueront à
prospérer aux dépens des peuples.

MR :  ProMosaik e.V. se déclare
antisioniste et philosémite. Comment voyez-vous ça ?
SL : C’est une position qui me parait tout à fait
tenable. Elle fait cette distinction saine entre le sionisme et le judaïsme /
hébraïsme, qui est systématiquement niée par les politiques et médias,
consciemment ou inconsciemment, afin d’étouffer toute critique d’Israël.
Lorsque Netanyahou déclare qu’Israël est l’État des Juifs, et qu’il s’exprime
et agit au nom de tous les Juifs, il favorise l’antisémitisme, car si Israël
incarnait effectivement le judaïsme, on ne pourrait que condamner l’un et
l’autre. De même en France, lorsqu’on reconnaît le CRIF ou l’UEJF
(ultra-sionistes) comme porte-paroles de la communauté juive (ou l’AIPAC aux
USA), alors qu’ils n’en représentent qu’une frange extrémiste infime, on
favorise l’antisémitisme. On devrait légitimement se demander pourquoi, par
exemple, dénoncer l’État Islamique serait un devoir pour tous, et en
particulier pour les musulmans, sans que cela constitue le moins du monde de
l’islamophobie, bien au contraire (et je suis entièrement d’accord avec cela),
alors que les Juifs n’auraient pas le même devoir de dénonciation du sionisme
et d’Israël, sans que cela soit en rien de l’antisémitisme ou de
l’antijudaïsme. Les meilleurs agents de l’antisémitisme sont ceux qui
légitiment les discours pro-sionistes et pro-Israël en les rattachant à la
judéité d’une manière ou d’une autre, alors que ce n’est rien de moins que de
l’apologie du terrorisme, Israël ou « l’État Judaïque » étant la même
chose que l’ « État Islamique », une imposture barbare qu’il faut
combattre. Il faut distinguer les enjeux religieux / raciaux de la politique.
Heureusement, des personnalités juives comme Noam Chomsky et Norman
Finkelstein, ou des organisations comme les Neturei Karta, dénoncent Israël au
nom de leur identité juive, et espérons que leur voix se fera de plus en plus
forte et représentative.  

MR : Comment peut-on, en tant que journaliste,
favoriser la paix et la justice ?
SL : Les guerres et les injustices se font toujours
par des prétextes mensongers, et se basent sur la crédulité des opinions
publiques. En clamant la vérité et en dénonçant l’oppression, on la démasque et
on peut contribuer à l’entraver. C’est notre devoir, surtout en Occident, car
nos populations sont largement endoctrinées par la propagande d’État, et nos
gouvernements sont les principaux oppresseurs des peuples du Tiers Monde (et de
leurs propres peuples).
En dernière instance, je pense que c’est avant tout la
résistance des nations agressées et opprimées qui pourra leur apporter la
paix et la justice. Mais notre principal champ de bataille, en tant
qu’occidentaux, est celui de l’information.

MR : Quelles sont les thématiques principales de votre blog ?
Je m’intéresse
à la géopolitique, au Moyen-Orient et à l’Islam, ainsi qu’à l’histoire de
France.